
Une équipe de scientifiques a analysé un large ensemble de données, issues de plus de 400 000 individus, pour mettre en relation des parcours professionnels et le fameux « score polygénique ». Cet outil permet d’estimer la probabilité de développer divers troubles mentaux, qu’il s’agisse de la dépression, de la bipolarité, de l’anorexie ou encore du TDAH. L’idée est audacieuse : nos gènes, conjugués à un environnement spécifique, pourraient-ils nous orienter vers certaines professions ou, au contraire, nous en éloigner ?
Les résultats obtenus sont parfois déroutants : les informaticiens semblent davantage exposés à des traits du spectre autistique, les artistes à des troubles de l’humeur, tandis que les enseignants ou les agriculteurs auraient un lien statistique plus marqué avec le TDAH. Il est essentiel de rappeler qu’il ne s’agit ici que de corrélations : personne n’est « programmé » à coup sûr pour développer une pathologie. Les chercheurs insistent sur la complexité des facteurs en jeu, depuis l’éducation jusqu’aux hasards de la vie, en passant par la personnalité unique de chacun. Pourtant, cette nouvelle perspective apporte un éclairage intéressant sur l’éventuel lien entre ADN et choix de carrière.
Les artistes et la météo intérieure
Les professions créatives (peinture, design, musique, écriture, etc.) sont souvent associées à une grande sensibilité, et les données recueillies par les chercheurs semblent le confirmer. Les artistes présenteraient une prédisposition plus élevée à des troubles de l’humeur tels que la dépression ou la bipolarité, ainsi qu’à d’autres affections comme l’anorexie ou, plus rarement, l’autisme.
Cette corrélation nourrit l’idée que la vulnérabilité émotionnelle peut être à la fois un moteur d’inspiration et une source de souffrance. De nombreux créateurs décrivent des variations d’humeur intenses, où la joie et la productivité fulgurante cèdent parfois la place à des périodes de doutes ou de découragement. Ces fluctuations, qui peuvent stimuler la créativité, exposent également à un risque de déséquilibre mental si l’environnement de travail (et de vie) n’est pas suffisamment structuré.
Les gènes liés à une émotivité exacerbée peuvent toutefois être sublimés. Certains artistes instaurent des routines pour réguler leur emploi du temps et éviter de se laisser emporter par leurs humeurs. D’autres s’entourent d’un entourage solide, s’appuyant sur une équipe ou un cercle social bienveillant. L’important est de reconnaître que cette sensibilité accrue fait partie intégrante de la démarche artistique, tout en veillant à ne pas nier la possibilité d’une fragilité psychique.
Les informaticiens et la logique absolue
Dans le secteur informatique, qui regroupe des métiers très variés (développeur, ingénieur système, analyste en cybersécurité, data scientist, etc.), la rigueur et la précision sont reines. L’étude met en évidence une corrélation entre ces professions et des variantes génétiques associées aux troubles du spectre autistique. Attention, cela ne signifie pas que tous les informaticiens sont autistes ou destinés à le devenir, mais qu’un certain nombre de traits cognitifs (amour du détail, passion pour la logique, hyperconcentration, parfois une forme de retrait social) s’avèrent plus fréquents.
Cette corrélation peut s’avérer positive : un esprit passionné par l’organisation des systèmes, la résolution d’énigmes complexes et l’algorithmie peut exceller dans la programmation. Les « marathons de code », où l’on passe de longues heures devant l’écran, conviennent bien à ceux qui se sentent plus à l’aise en solitaire ou dans un univers stable et maîtrisé. En revanche, la communication peut se révéler plus difficile, d’où l’intérêt de s’insérer dans une équipe qui valorise la diversité des talents. Certains employeurs proposent d’ailleurs des formations ou des coachings pour améliorer les compétences relationnelles, de sorte que ces profils techniques puissent s’épanouir dans un environnement stimulant sans s’isoler.
Enseignants, agriculteurs, pêcheurs : l’hyperactivité en embuscade
Au premier abord, il est difficile de tracer un parallèle entre la vie d’un enseignant et celle d’un agriculteur, d’un bûcheron ou d’un pêcheur. Pourtant, l’étude relève chez tous ces professionnels un risque plus élevé de présenter des gènes associés au TDAH (Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité). Ces métiers ont en commun d’exiger une vigilance et une réactivité constantes, ainsi qu’une capacité à jongler avec de multiples tâches sans se laisser submerger.
Le quotidien d’un enseignant, par exemple, peut se révéler extraordinairement dynamique : préparation de cours, surveillance, corrections, discussions avec les parents, réunions pédagogiques… Il n’y a pas vraiment de place pour l’ennui. Le TDAH, lorsqu’il se manifeste de manière modérée, peut coïncider avec le besoin de mouvement et de stimulation permanente. De même, un agriculteur doit faire face à la météo, aux soins du bétail, aux récoltes, à la maintenance du matériel et à la commercialisation de ses produits. Une forme d’hyperactivité peut ainsi trouver un exutoire bénéfique dans la variété des tâches quotidiennes.
Le revers de la médaille reste le risque de dispersion ou de surmenage, surtout si l’on ne pose pas de limites claires. Planifier son emploi du temps, déléguer certaines responsabilités et s’autoriser de réelles pauses sont autant de moyens d’éviter que l’hyperactivité ne se transforme en spirale d’anxiété ou d’épuisement.
Travailleurs sociaux : empathie et risque dépressif
Les travailleurs sociaux sont régulièrement confrontés à la détresse d’autrui : précarité, exclusion, violence, solitude… Leur mission est d’accompagner, de conseiller, de soutenir, ce qui exige une empathie profonde et une disponibilité quasi permanente. L’étude suggère que ces professionnels posséderaient plus fréquemment des gènes associés à la dépression. Il ne s’agit pas d’un diagnostic automatique, mais d’un indicateur montrant que l’exposition quotidienne à des souffrances extrêmes peut accentuer un terrain génétique préexistant.
Ce potentiel « terrain dépressif » ne doit pas décourager l’engagement dans le travail social. Il s’agit plutôt de rappeler que l’empathie, si précieuse pour aider les autres, comporte un risque de fatigue émotionnelle. Les institutions et les structures employeuses gagneraient à organiser des temps de supervision ou de soutien psychologique pour leur personnel. Un travailleur social bien entouré et régulièrement formé aux techniques de gestion du stress aura plus de chances de préserver sa santé mentale. Inversement, le manque de ressources, d’effectifs ou de reconnaissance peut transformer la belle vocation en enfer quotidien.
Professionnels des ressources humaines : l’humain au cœur du défi
Dans le monde de l’entreprise, les RH jouent un rôle charnière entre la direction, la stratégie globale et les besoins des salariés. Ces spécialistes du recrutement, de la gestion des talents et de la résolution de conflits portent donc le poids de la cohésion interne. Même si l’étude n’identifie pas un trouble spécifique propre à ce métier, elle évoque un risque accru de burn-out et d’anxiété. La raison ? Un cumul de responsabilités qui exige de la diplomatie, de la négociation et, souvent, une grande capacité d’écoute.
La position intermédiaire peut devenir délicate : les RH sont censés faire respecter les règles tout en se rendant accessibles pour écouter les plaintes ou angoisses des employés. Ils gèrent parfois des situations tendues (licenciements, restructurations, changements d’outils) et doivent composer avec des personnalités variées. Les gènes qui prédisposent au stress ou à l’anxiété peuvent donc trouver un terrain propice dans une telle configuration, où chaque décision peut avoir des répercussions humaines.
Pour limiter la pression, il est conseillé de mettre en place une organisation claire et de ne pas tout centraliser sur une seule personne ou un seul service. Les entreprises qui allègent la charge mentale de leurs RH (en élargissant l’équipe, en favorisant la digitalisation de certaines tâches administratives, ou en instaurant des cellules de médiation externes) réduisent d’autant le risque d’épuisement professionnel. Au final, un RH épanoui est un maillon essentiel pour un climat social apaisé.
Les gènes ne font pas tout
Toutes ces corrélations, aussi fascinantes soient-elles, ne doivent pas être perçues comme un verdict implacable. Les chercheurs le rappellent : la génétique fixe des tendances, mais elle ne dicte pas à coup sûr la destinée de chacun. L’environnement, la résilience personnelle, l’entourage affectif et la formation professionnelle pèsent lourd dans la balance. Deux personnes ayant le même score polygénique pour la dépression peuvent évoluer de manière totalement différente, en fonction des aléas de leur existence et des soutiens dont elles bénéficient.
De même, un enseignant énergique peut déployer d’infinies stratégies pour canaliser son hyperactivité potentielle, ou un informaticien passionné par le code peut préserver son équilibre social en cultivant d’autres loisirs. Le point crucial est de prendre conscience de ces éventuelles vulnérabilités pour mieux s’adapter. Lorsque l’on sait qu’on dispose d’une forte empathie, par exemple, on peut apprendre à poser des limites et à se ménager des plages de repos. Quand on est sujet aux fluctuations émotionnelles, on peut développer un système de routine et de suivi psychologique pour prévenir les crises.
Conclusion
Le message clé de l’étude n’est pas de vous enfermer dans une case ou de vous étiqueter en fonction de vos gènes. Il s’agit plutôt de souligner que certaines caractéristiques professionnelles peuvent révéler, ou accentuer, des fragilités inscrites dans votre ADN. Les artistes, les informaticiens, les enseignants, les travailleurs sociaux, les RH et bien d’autres métiers peuvent ainsi être le reflet d’une prédisposition. Mais cette prédisposition ne doit pas être vécue comme un obstacle définitif.
Chacun peut adapter son environnement, recourir à un soutien spécialisé si nécessaire et bâtir des stratégies de résilience. Les gènes ne fixent qu’un cadre de possibilités ; c’est l’individu, avec son histoire, ses choix et ses relations, qui construit sa route. Vous gardez donc l’entière liberté de vous épanouir pleinement dans votre profession, en étant simplement attentif à ces signaux qui, s’ils ne sont pas pris en compte, peuvent fragiliser votre santé mentale. Au contraire, reconnus et gérés avec prudence, ils peuvent se transformer en atouts, nourrissant votre dynamisme, votre créativité ou votre empathie au service de vos missions.
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