Un ultime adieu à la mère de La Sagouine

Vous avez sans doute déjà croisé l’œuvre d’Antonine Maillet, que ce soit dans vos souvenirs littéraires ou à travers une représentation de sa célèbre pièce La Sagouine . La nouvelle de son décès, survenu dans la nuit du 17 février 2025 à Montréal, a secoué l’Acadie et le milieu culturel canadien. Elle avait 95 ans. Son éditeur a confirmé la triste nouvelle par un communiqué publié en début de semaine, rappelant que l’écrivaine et dramaturge s’est éteinte paisiblement, entourée de précieux souvenirs qui ont façonné toute sa carrière.

Son parcours a profondément marqué la francophonie d’ici et d’ailleurs. Son départ nous invite à célébrer les jalons de son existence, ses créations littéraires et la force de son héritage pour les générations futures.

Une enfance imprégnée d’Acadie et de spiritualité

Antonine Maillet est née le 10 mai 1929 à Bouctouche, au Nouveau-Brunswick, dans une région où l’Acadie nourrit la culture, la langue et la fierté de tout un peuple. Dans ce décor, elle a rapidement développé un sens aigu de l’observation et un amour profond pour les histoires et le folklore. Sa foi a également joué un rôle important à ses débuts. En intégrant la Congrégation Notre-Dame-du-Sacré-Cœur, elle a pris le nom de sœur Marie-Grégoire et a découvert un cadre où l’étude, la prière et l’écriture pouvaient coexister.

Plusieurs de ses premières œuvres voient le jour durant cette période, alors qu’elle enseigne et se consacre à ses recherches. Cette entrée dans la vie religieuse, bien qu’elle n’ait duré qu’une décennie, lui a permis de façonner ses idées et de cultiver ses talents littéraires naissants. De nombreuses figures qui ont ensuite peuplé ses livres sont d’ailleurs inspirées de l’univers d’enfance qui l’a vue grandir.

Des études supérieures pour parfaire son art

Au fil des années, Antonine Maillet s’est distinguée par son érudition et sa soif de connaissances. Après avoir terminé un baccalauréat en arts au Collège Notre-Dame d’Acadie, elle a poursuivi ses études en histoire et en littérature à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Son parcours académique est couronné par un doctorat en littérature, moment qui consacre sa passion pour l’analyse des textes et l’étude approfondie des œuvres qui l’inspirent. Sa thèse, portant sur l’écrivain François Rabelais, dévoile sa fascination pour l’expressivité de la langue et la dimension populaire de la culture.

Ces années d’études ne sont toutefois pas seulement synonymes de travaux universitaires. Elles sont aussi l’occasion de diversifier son regard sur la société, de nourrir sa pensée critique et d’approfondir ses connaissances en folklore. Ses recherches sur les traditions acadiennes ont jeté les bases d’une œuvre où l’histoire d’un peuple et la puissance des mots se rejoignent pour raconter la dignité et la résilience.

La Sagouine : un triomphe mondial

Si vous avez déjà eu la chance d’assister à une représentation de La Sagouine , vous avez pu saisir à quel point ce personnage incarne l’âme d’Antonine Maillet. Publiée en 1971, cette pièce devient rapidement un succès rémanent, à tel point qu’elle est adaptée dans plusieurs pays et traduite en langues diverses. L’interprétation par Viola Léger, jouée plus de 2000 fois, demeure l’une des performances les plus marquantes du théâtre canadien.

Avec La Sagouine , Antonine Maillet illustre les défis de la classe populaire et la richesse d’un dialecte qui reflète le cœur battant de l’Acadie. Les dialogues et les monologues y sont crus, poignants, réalistes, et pourtant porteurs d’humour. Cette création a non seulement fait connaître l’Acadie au monde entier, mais elle a aussi permis de mettre en lumière une littérature francophone d’une grande vitalité, longtemps cantonnée aux marges du paysage culturel.

Écrire pour donner voix aux oubliés

Tout au long de sa carrière, Antonine Maillet s’est attachée à des thèmes récurrents : la pauvreté, la séparation des classes sociales et la place des femmes dans une société souvent inégalitaire. Ses personnages, façonnés par le désir, la frustration, la souffrance ou encore la joie, témoignent d’une volonté d’éclairer les injustices vécues par les plus démunis. La création littéraire devient pour elle un moyen de contrer l’oubli et de réhabiliter des identités culturelles trop souvent effacées.

Au-delà de La Sagouine , elle a publié plus d’une cinqquantaine de livres, dont son dernier ouvrage, Mon testament , paru en 2022. Ce titre, qui réunit de nombreux protagonistes issus de ses écrits antérieurs, témoigne d’un parcours riche et d’une cohérence dans l’univers qu’elle a bâti au fil des ans. Y transparaissent la même chaleur, la même empathie et cet humour incisif, caractéristiques de son style inimitable.

Un palmarès de distinctions sans précédent

Au cours de sa vie, Antonine Maillet a reçu une multitude d’honneurs, preuve de l’importance de son influence au Canada et à l’international. Sans doute avez-vous déjà entendu parler de son prix Goncourt obtenu pour Pélagie-la-Charrette ; c’est d’ailleurs la première fois qu’une autrice non européenne et la seule Canadienne recevait cette prestigieuse récompense. Son œuvre, qui aborde la déportation des Acadiens par les Britanniques, a marqué l’histoire de la littérature francophone.

En plus de ce prix majeur, elle a été nommée officier de l’Ordre du Canada, officier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France, puis officier de l’Ordre national du Québec. Elle a par ailleurs cumulé au moins une quinzaine de prix littéraires, 31 doctorats honorifiques et occupé différents postes à la Société Radio-Canada (CBC), à Moncton, ainsi qu’à l’Université de Californie et à l’Université d’Albany, pour n’en nommer que quelques-uns.

Un engagement personnel et culturel

Celle qui aimait se faire appeler « Tonine » par ses proches n’a jamais renié ses racines. Malgré son établissement à Montréal depuis plus de cinq décennies, elle déclareit souvent vouloir retourner à Bouctouche pour y être inhumée. Dans le documentaire Antonine Maillet : mes pensées flottantes , elle insistait sur la puissance des racines acadiennes et sur l’importance de préserver la mémoire de ceux qui ont construit l’Acadie contemporaine.

Elle partagea aussi une bonne partie de sa vie avec Mercedes Palomino, cofondatrice du Théâtre du Rideau Vert, décédée en 2006. C’est d’ailleurs dans cette salle mythique que La Sagouine a été jouée pour la première fois à Montréal, concrétisant l’envol de cette pièce devenue emblématique.

Un héritage littéraire intemporel

En apprenant son départ, on ne peut s’empêcher de mesurer tout le chemin parcouru depuis ses premiers pas dans l’écriture. Sa plume a traversé les frontières, émouvant aussi bien les Québécois que les Acadiens, les Européens, et même certains publics asiatiques. Les humanités se souviendront d’elle comme d’une autrice passionnée, ancrée dans sa communauté et déterminée à en défendre la richesse linguistique et culturelle.

Vous, chers lecteurs et lectrices, avez désormais l’occasion de transmettre son héritage en faisant découvrir ses textes aux générations futures. Son souvenir perdura dans la mémoire de l’Acadie, mais aussi dans celle de toute la Francophonie, inspirant celles et ceux qui rêvent de raconter leur histoire et de construire des ponts entre les cultures.

Conclusion

La disparition d’Antonine Maillet crée un vide considérable dans le paysage littéraire, culturel et académique. Son œuvre, portée par une passion inégalée pour la langue et l’identité acadienne, servira de phare pour toutes les personnes qui cherchent à comprendre d’où elles viennent et comment le dire à travers la fiction. Vous rendez le plus bel hommage à sa mémoire en ouvrant, ou en rouvrant, l’un de ses nombreux livres, en savourant l’authenticité de ses personnages et en contemplant la force de son message : l’Acadie est vivante, et la langue française peut s’élever au-delà des frontières lorsqu’elle est portée par une plume aussi vibrante.

Antonine Maillet n’est plus, mais son esprit habite encore les pages qu’elle nous laisse en héritage. Puisse ce legs vous accompagner et éclairer la richesse de vos propres racines, tout en célébrant la force d’une culture qui ne demande qu’à rayonner.