
Il y a des nouvelles qui figent le temps. Ce lundi matin, alors que les fidèles goûtaient encore à la lumière de Pâques, Rome s’est recouverte d’un voile de tristesse. Le pape François est mort. Avec lui s’éteint une voix libre, sociale, spirituelle et profondément humaine, qui aura tenté de réconcilier l’Église avec son époque.
Silence sur la pierre
Le Vatican s’est figé dans l’aube pâle d’un lundi pascal. À 07h28, heure de Rome, François, 266e souverain pontife de l’Église catholique, est retourné à ce qu’il appelait « la maison du Père ».
L’annonce, brève, solennelle, a été faite par le cardinal camerlingue Kevin Farrell, chargé de veiller à l’intérim du Saint-Siège.
Sur la place Saint-Pierre, la cloche a sonné le glas, comme un soupir d’éternité sur les dalles de Rome.
Il avait 88 ans. Une pneumonie persistante a eu raison de sa vigueur, au terme d’un combat de plusieurs semaines. Le pape argentin était sorti de l’hôpital fin mars, après trente-huit jours d’une hospitalisation éprouvante. Il y avait affronté sa quatrième et plus longue convalescence depuis le début de son pontificat en 2013.
Un départ dans la ferveur
Le dimanche précédent, affaibli mais déterminé, François s’était offert un dernier bain de foule sur la place Saint-Pierre, depuis sa papamobile. Son visage tiré, sa voix presque éteinte, il avait malgré tout salué la foule en liesse venue fêter Pâques.
Il avait dû déléguer la lecture de sa bénédiction à un collaborateur. À peine quelques mots franchirent ses lèvres.
Lundi matin, c’est par leur téléphone que nombre de fidèles, de Rome à Buenos Aires, ont appris la nouvelle. Les églises ont résonné d’un même glas funèbre, marquant le deuil d’un monde catholique étendu sur cinq continents.
L’homme qui ne voulait pas d’un trône
François, de son vrai nom Jorge Mario Bergoglio, restera le premier pape jésuite de l’histoire, mais surtout le premier venu du Sud, fils d’immigrés italiens né dans une banlieue modeste de Buenos Aires. Il refusa les ors du palais apostolique pour vivre dans un simple deux-pièces à la résidence Sainte-Marthe.
Là où d’autres embrassaient la grandeur de la fonction, lui choisissait l’humilité.
Il parlait au monde avec une simplicité bouleversante. Il bénissait les couples de même sexe, dénonçait le commerce des armes, visitait les prisons, embrassait les malades et réconfortait les migrants. Ses ennemis, nombreux au sein même de l’Église, voyaient en lui un pape trop politique. D’autres, au contraire, louaient sa capacité à faire exister une foi incarnée dans le réel.
Une santé fragile, une foi tenace
Son état de santé préoccupait depuis plusieurs années. Douleurs aux hanches, genoux douloureux, opérations, infections respiratoires : il se déplaçait en fauteuil roulant, mais n’avait jamais ralenti.
Au contraire, il multipliait les déplacements, parfois jusqu’à l’épuisement. En septembre dernier, il s’était envolé pour un périple exténuant de douze jours en Asie du Sud-Est et en Océanie.
Contre l’avis de ses médecins, il avait choisi l’effort plutôt que le repos. Un choix qui en disait long sur sa vision du sacerdoce : se donner jusqu’au bout.
Des réformes bousculantes
François ne fut pas seulement un pasteur proche du peuple. Il fut aussi un réformateur audacieux, parfois détesté.
Il tenta de moraliser les finances du Vatican, d’assainir une Curie minée par l’immobilisme, d’ouvrir des espaces de parole aux femmes, aux laïcs, aux minorités.
Il leva le secret pontifical sur les affaires d’abus sexuels, contraignit clercs et religieux à signaler les cas à leur hiérarchie. Pourtant, ces gestes forts n’ont pas suffi à convaincre les associations de victimes, qui lui ont reproché de ne pas avoir imposé de mesures plus radicales.
Un pape aux frontières du monde
Il parlait sans relâche des « périphéries », ce mot qui revenait comme un refrain. Il voulait une Église tournée vers les marges : les migrants, les pauvres, les peuples oubliés.
Il plaida pour l’accueil, la tolérance, la paix. Ses prises de position contre la politique migratoire américaine ou son soutien à l’écologie radicale lui valurent critiques et tensions.
Son encyclique Laudato si, publiée en 2015, reste l’un des textes religieux les plus cités par les mouvements écologistes. C’était un cri d’alarme contre la destruction de la planète et l’adoration du capital financier.
L’opposition intérieure
Mais cette ouverture, cette empathie, ne firent pas l’unanimité. Des conservateurs influents, parfois même des cardinaux, s’élevèrent contre ses décisions.
L’autorisation des bénédictions de couples homosexuels, la limitation de la messe en latin, la mise à l’écart de certaines figures traditionnelles : tout cela fut vécu comme des trahisons par les franges les plus rigides de l’Église.
La cohabitation avec Benoît XVI, pape émérite jusqu’à sa mort en 2022, avait alimenté les tensions. Deux papes, deux visions, et parfois une guerre ouverte dans les couloirs du Vatican.
Une Église en transition
Le décès de François ouvre désormais une période particulière. Selon les règles en vigueur, les funérailles dureront neuf jours, et un conclave devra être convoqué dans les quinze à vingt jours suivants.
C’est le cardinal Kevin Farrell qui gère pour l’instant les affaires courantes. Le successeur de François, élu par des cardinaux dont 80 % ont été choisis par lui, héritera d’une Église traversée de divisions profondes, mais aussi enrichie de débats plus ouverts que jamais.
Le choix du repos éternel
Dans un geste tout aussi symbolique que son mode de vie, François avait indiqué qu’il ne souhaitait pas être inhumé dans la crypte de Saint-Pierre comme ses prédécesseurs, mais dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, à Rome. Un choix humble, encore une fois, et inédit depuis plus de trois siècles.
C’est là, sans faste, que reposera le pape du peuple.
L’héritage d’un homme libre
Qu’on l’ait admiré ou critiqué, nul ne pourra nier la trace laissée par le pape François. En douze années, il a fait plus que gouverner l’Église : il l’a interrogée, déplacée, parfois divisée, mais toujours réveillée.
Son sourire fatigué, sa voix cassée, ses mots simples resteront dans les mémoires. Non comme une figure figée dans le marbre, mais comme un homme debout parmi les hommes, refusant de détourner le regard des douleurs du monde.
Ce lundi matin, c’est bien plus qu’un pape qui s’en est allé. C’est une conscience.
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