
La bataille d’Almansa, survenue en 1707, est l’un de ces événements que l’histoire européenne n’a jamais vraiment digéré. Dans un monde déjà en proie aux rivalités entre couronnes, cette bataille a scellé le sort de l’Espagne et, bien au-delà, influencé la politique continentale pour des décennies. Entre intrigues diplomatiques, ambitions monarchiques et bravoure sur les champs de bataille, Almansa mérite que l’on s’y arrête avec attention. À travers cette chronique, je vous invite à plonger au cœur d’une journée décisive où l’Espagne joua son avenir sous le fracas des canons.
Aux origines du conflit
La guerre de Succession d’Espagne est née d’un dilemme dramatique : qui allait hériter du trône espagnol après la mort sans descendance de Charles II en 1700 ? L’Europe, avide de préserver ses équilibres précaires, se retrouva entraînée dans un conflit colossal. Deux prétendants se disputaient la couronne : Philippe d’Anjou, petit-fils du roi Louis XIV de France, et l’archiduc Charles d’Autriche, soutenu par l’Angleterre, les Provinces-Unies et le Portugal.
Ce combat ne concernait pas seulement l’Espagne : il symbolisait l’affrontement entre deux visions de l’Europe. D’un côté, une Espagne bourbonienne inféodée à la France ; de l’autre, une Espagne habsbourgeoise, garante d’un équilibre des puissances. À Almansa, cette rivalité éclata dans toute sa violence.
La marche vers Almansa
Les mois qui précédèrent la bataille furent marqués par une série de manœuvres militaires savantes. Les forces anglo-portugaises, conduites par Henri de Massue, comte de Galway, avancèrent dans le royaume de Valence, espérant consolider leur position dans l’est de l’Espagne. En face, les forces franco-espagnoles, sous le commandement du duc de Berwick – un bâtard légitimé du roi Jacques II d’Angleterre – se mirent en mouvement avec une efficacité remarquable.
Le terrain choisi pour l’affrontement, la plaine d’Almansa, favorisait les mouvements de cavalerie et offrait peu de refuges naturels. Dès l’aube du 25 avril 1707, la tension dans l’air était palpable. Chaque camp savait que l’issue de la journée pourrait déterminer l’avenir d’un continent tout entier.
L’affrontement décisif
À midi, le tumulte des tambours couvrit les prières silencieuses. Les premières salves d’artillerie ouvrirent le bal sanglant. Le centre anglo-portugais tint bon sous les assauts répétés, mais bientôt, la supériorité numérique et tactique des franco-espagnols se fit sentir.
Le duc de Berwick, stratège émérite, exploita habilement une faiblesse sur le flanc gauche allié, précipitant une percée décisive. En quelques heures, ce qui avait semblé être une lutte équilibrée tourna au carnage pour les forces de Galway. Les pertes furent lourdes, les fuites désordonnées, et la victoire complète.
Conséquences immédiates
La chute d’Almansa eut des répercussions immédiates et dramatiques. Les territoires de Valence et d’Aragon, acquis par les partisans de l’archiduc Charles, tombèrent l’un après l’autre. Philippe V, couronné roi d’Espagne sous l’égide des Bourbons, put consolider son autorité et initier une centralisation du pouvoir sans précédent.
Pour les populations locales, la défaite signifia aussi la perte de privilèges historiques : les fors (libertés) des royaumes d’Aragon et de Valence furent abolis, marquant le début d’une Espagne plus unifiée, mais également plus autoritaire.
L’écho européen
La bataille d’Almansa ne fut pas qu’un épisode espagnol. À Versailles, la victoire renforça la position de Louis XIV dans son duel politique contre l’Angleterre et les Provinces-Unies. À Londres, elle renforça la détermination de poursuivre la guerre, bien que le coût humain et financier devînt de plus en plus insupportable.
Cette bataille démontra à toute l’Europe que les forces françaises et leurs alliés n’étaient pas invincibles, mais qu’ils demeuraient redoutables. Le conflit continua encore plusieurs années, mais Almansa marqua symboliquement un point de bascule.
Portraits croisés : Berwick et Galway
James FitzJames, duc de Berwick, émergea de la bataille auréolé de gloire. Militaire de formation française mais d’origine anglaise, il incarna cette complexité européenne typique de l’époque : un homme partagé entre plusieurs couronnes, plusieurs fidélités, plusieurs langues.
En face, Henri de Massue, comte de Galway, connut une humiliation cuisante. Malgré son expérience, il fut incapable de coordonner efficacement ses troupes hétérogènes, marquées par les divisions entre Anglais, Hollandais, Portugais et Catalans. Cette défaite le poursuivit jusqu’à la fin de sa carrière militaire.
Le souvenir d’Almansa aujourd’hui
Trois siècles après, Almansa demeure vivante dans les mémoires locales. Chaque année, la ville célèbre cette bataille avec des reconstitutions historiques vibrantes. Loin d’une simple nostalgie guerrière, ces commémorations rappellent aussi l’importance du dialogue entre cultures et la complexité des héritages européens.
Pour les historiens, Almansa reste un cas d’école. Elle montre combien les alliances les plus solides peuvent se briser sous la pression du terrain et combien l’histoire d’une nation peut basculer en quelques heures.
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