
Il est des départs qui résonnent comme un dernier refrain. Serge Fiori, âme d’Harmonium, a tiré sa révérence le jour de la Saint-Jean. Le Québec perd bien plus qu’un chanteur.
Le jour où la musique a cessé, le Québec s’est tu
Le 24 juin 2025, pendant que le Québec vibrait au rythme des tambours de la fête nationale, une autre vibration, plus sourde, plus poignante, a traversé la province. Une onde de tristesse, un soupir collectif : Serge Fiori est mort. Il s’est éteint paisiblement à son domicile de Saint-Henri-de-Taillon, au Lac-Saint-Jean. Il avait 73 ans.
C’est une coïncidence troublante, presque écrite dans une partition céleste. Que cet homme, poète sonore d’une génération, s’en aille précisément le jour où le Québec célèbre ce qu’il est, ce qu’il veut être, ce qu’il rêve d’être, ne pouvait que bouleverser profondément. Car Fiori, c’était ça. Un miroir sensible de l’âme québécoise, une voix écorchée mais aimante, un souffle d’espérance dans la brume identitaire.
D’Harmonium à l’hymne intérieur
À peine 22 ans lorsqu’il fonde Harmonium en 1972 avec Michel Normandeau, Serge Fiori devient rapidement l’un des compositeurs les plus respectés de la scène québécoise. Ce jeune Montréalais, fils d’un chef d’orchestre italien, a grandi dans la musique. Chez lui, les notes flottaient dans l’air comme les épices d’un plat réconfortant.
Avec Harmonium, il fait entrer la chanson québécoise dans une nouvelle ère. Finie la bluette légère, place à l’audace musicale, aux structures complexes, aux arrangements luxuriants. Le groupe se distingue dès son premier album éponyme, sorti en 1974, dont toutes les pistes sont devenues des classiques : Si doucement, Pour un instant, Un musicien parmi tant d’autres… Ces titres vibrent encore dans les salons, dans les voitures, dans les cœurs.
Mais c’est avec Si on avait besoin d’une cinquième saison (1975) que le groupe prend son envol artistique. Fini le folk : place au prog-rock poétique. L’album est une fresque climatique et sensorielle, où les saisons deviennent sentiments et paysages intérieurs. Puis vient L’Heptade, œuvre-somme, double album orchestral sorti en 1976, salué comme un chef-d’œuvre absolu. En 17 minutes, Histoires sans paroles démontre que la musique peut dire plus que les mots. Ce disque, inspiré, presque mystique, est un jalon majeur de l’histoire musicale francophone.
Une voix, une blessure, une flamme
Derrière la complexité des œuvres se cache un homme tourmenté. La célébrité, les tournées, la pression : tout cela gruge lentement Serge Fiori. Il souffre, il vacille, mais il continue à écrire. Et quand Harmonium cesse d’exister, il trouve un dernier souffle artistique dans l’album Deux cents nuits à l’heure, coécrit avec Richard Séguin, qui sera un triomphe en 1978.
Puis le silence.
Fiori part vivre en Californie. L’homme se retire. Il combat ses démons : dépendances, anxiété, fragilité mentale. Le Québec l’oublie un peu, mais la musique, elle, reste. Dans les années 80, il tente un retour avec un album solo (1986) qui, à l’époque, déroute le public. Trop synthétique, trop en rupture avec l’Harmonium que tous chérissaient.
Les années passent. Fiori publie des albums new age, discrètement. Puis, coup de tonnerre : en 2014, il revient avec un album sobrement intitulé Serge Fiori. Cette fois, c’est le bon. Les critiques sont unanimes. Le public est au rendez-vous. Il gagne le prix de l’album adulte contemporain à l’ADISQ. Il n’a rien perdu de sa puissance émotionnelle. Sa voix, plus éraillée, mais toujours lumineuse, raconte la sagesse, la peine, le temps qui passe.
Le chant d’un homme qui a vécu
Fiori n’était pas seulement un musicien. Il était un conteur d’âme. Il portait dans ses chansons les reflets de la solitude, les brûlures de l’introspection, les élans de foi intime. Ce qu’il offrait au public, c’était plus qu’un air à fredonner : c’était une quête. Une invitation à mieux se comprendre. À oser être vrai. À rêver.
Ses textes résonnent avec une lucidité bouleversante :
« J’ai besoin de me trouver une histoire à me conter ».
Et il nous en a conté, des histoires. Des vraies. Des belles. Des tristes. Des lumineuses.
Un héritage gravé dans la mémoire
Aujourd’hui, les albums d’Harmonium sont des trésors culturels. Les rééditions, les concerts symphoniques, les comédies musicales inspirées de son œuvre, les documentaires : tout témoigne de la place inestimable qu’occupe Serge Fiori dans l’imaginaire collectif. Il n’était pas qu’un artiste. Il était une mémoire. Un souffle. Un compagnon de route dans les moments flous.
Il n’est jamais remonté sur scène après 2014. Trop d’angoisse, trop de fatigue. Mais il a accepté de parler, de partager, de faire revivre son œuvre à travers d’autres voix, d’autres formats. Il s’est éteint sans fracas, mais l’émotion, elle, explose.
Le Québec perd plus qu’un musicien
La nouvelle de sa mort, survenue un 24 juin, est un choc. Et en même temps, elle semble presque juste. Comme s’il avait choisi son jour de départ. Pour faire partie, à jamais, de la grande fête. Pour s’inscrire dans l’Histoire avec un grand H. Lui qui chantait Un musicien parmi tant d’autres, est devenu bien plus qu’un parmi tant d’autres. Il est celui que l’on pleure aujourd’hui, que l’on chantera demain, et que l’on racontera toujours.
Son départ est une perte inestimable pour la culture québécoise. Pour ceux qui l’ont connu, côtoyé, aimé. Et pour tous ceux qui, un jour, par une chanson, ont senti que quelqu’un quelque part comprenait exactement ce qu’ils ressentaient.
Pour un instant… il nous a tout donné
Il ne reste que l’écho. Et il est beau. Serge Fiori s’en est allé, mais sa musique continue. Elle vit dans chaque note, chaque souffle, chaque silence.
Il nous a laissés un 24 juin. Et c’est comme si, ce jour-là, la fête nationale était devenue une vigile. Une façon de dire merci. Pour les mots. Pour les accords. Pour l’homme.
Merci Serge.
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