
Il fut un temps où être femme, différente ou simplement libre, pouvait vous mener droit au feu. Des vallées basques de Zugarramurdi aux places publiques françaises, les procès pour sorcellerie ont enflammé l’Europe, alimentés par la peur, l’ignorance et les dogmes. Derrière les accusations, se cachaient souvent des jalousies, des conflits de voisinage ou des intérêts politiques. Mais qui étaient vraiment ces femmes accusées de pactiser avec le diable ? Et que reste-t-il aujourd’hui de ces tragédies souvent effacées des mémoires ? Ce voyage vous invite à les découvrir, entre brume historique et réalité glaçante.
Le sabbat dans les grottes de Zugarramurdi
Niché dans les montagnes de Navarre, à deux pas de la frontière française, le paisible village de Zugarramurdi est aujourd’hui un lieu touristique. Mais en 1610, il devint le théâtre d’un drame alimenté par les rumeurs et l’Inquisition. On y évoquait des sabbats nocturnes, des repas partagés avec le diable, des métamorphoses en animaux, des envols surnaturels… Autant d’accusations invérifiables, mais suffisantes pour éveiller la fureur des juges.
Ce ne sont pas moins de 31 personnes, principalement des femmes, qui furent arrêtées. Parmi elles, des jeunes filles, des mères, des guérisseuses. On les interrogeait, on les isolait, on les poussait à dénoncer leurs voisines. Les aveux, extorqués sous la menace, validaient un récit préconstruit. Dix d’entre elles périrent brûlées vives à Logroño. D’autres moururent en prison.
Des femmes, des herbes, des peurs
Souvent, celles qu’on appelait « sorcières » étaient en réalité des femmes de savoir. Elles connaissaient les plantes, les cycles lunaires, les douleurs du corps. Ce savoir ancestral, transmis de mère en fille, dérangeait une Église qui se voulait unique détentrice de la vérité et du soin.
L’Inquisition espagnole, pourtant moins meurtrière que d’autres, frappa fort à Zugarramurdi. Pourquoi ? Parce que l’affaire avait pris une ampleur populaire, que le peuple voulait des coupables, et que l’État voyait là l’occasion d’imposer l’ordre religieux dans une région où les pratiques païennes persistaient.
La France et ses propres flammes
Pendant ce temps, de l’autre côté des montagnes, la France n’était pas en reste. Dans le royaume de Louis XIII, avant même les grandes heures de Louis XIV, les procès pour sorcellerie se multipliaient, notamment dans l’est et le sud-ouest. À Loudun, Urbain Grandier fut brûlé en 1634, accusé d’avoir ensorcelé des nonnes. Dans le Jura, à Arras, à Rouen, d’autres femmes montaient sur le bûcher.
Contrairement à l’Espagne où l’Inquisition centrale dominait, en France, les procès étaient parfois plus locaux, plus désorganisés mais tout aussi brutaux. Les juges, souvent influencés par les rumeurs de village, ne faisaient qu’un simulacre d’enquête. Une voisine jalouse, un mari violent, une fausse couche… et une accusation suffisait.
Le sabbat comme construction judiciaire
Le sabbat n’a probablement jamais existé tel qu’il était décrit dans les procès. Il s’agissait d’un amalgame de rituels païens, de fêtes populaires et de fantasmes religieux. Les descriptions obtenues sous la torture évoquaient des banquets obscènes, des accouplements avec le diable, des pactes de sang. Pourtant, ces récits étaient copiés-collés de manuels inquisitoriaux.
À Zugarramurdi comme en France, les accusées se retrouvaient prisonnières d’un scénario écrit d’avance, nourri par les peurs du clergé et la volonté de contrôle. L’enfer n’était pas dans leurs actes, mais dans les procès eux-mêmes.
La mémoire, la honte et la résurgence
Aujourd’hui, Zugarramurdi a transformé ses grottes en musée. On y raconte l’histoire des accusées, on y lit leurs noms, on y évoque leur souffrance. Ce lieu est devenu un symbole de mémoire, mais aussi de réparation. En France, de nombreuses communes reconnaissent désormais les procès pour ce qu’ils furent : des meurtres judiciaires.
Des artistes, des écrivaines, des chercheuses redonnent voix à ces femmes. Les sorcières ne sont plus des monstres, elles sont devenues des figures de résistance. Leur réhabilitation s’inscrit dans un mouvement féministe et mémoriel profond.
Et si elles n’avaient jamais été oubliées ?
La sorcière, longtemps caricaturée, est redevenue une image puissante. Non plus celle d’une ennemie à combattre, mais celle d’une femme libre, autonome, proche de la nature et des savoirs oubliés. Zugarramurdi, aujourd’hui, n’est plus seulement un symbole de terreur : il est un lieu de transmission.
Les bûchers français ont disparu, mais les préjugés ont mis longtemps à s’éteindre. On ne brûle plus, mais on accuse encore. Cette chronique est donc un hommage, une tentative de justice posthume pour toutes celles qui ont été réduites en cendres pour avoir été, simplement, différentes.
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