
Lorsque Mannequin sort en 1987, personne n’imagine que ce petit film romantico-fantaisiste deviendrait une œuvre culte. L’histoire semble pourtant tirée d’un rêve un peu trop coloré : un artiste un peu lunaire, Jonathan Switcher (interprété par Andrew McCarthy), fabrique un mannequin si parfait qu’il en tombe amoureux. Par un tour de magie vaguement expliqué, le mannequin – incarné par la divine Kim Cattrall – prend vie, mais uniquement quand personne d’autre ne regarde. Absurde ? Totalement. Touchant ? Étonnamment, oui.
Il existe des films qui n’obéissent à aucune logique commerciale ou critique, mais qui parviennent à toucher droit au cœur. Mannequin, sorti en 1987, fait partie de ceux-là. À l’écran, il n’y a ni effets spéciaux révolutionnaires, ni acteurs oscarisés, ni scénario particulièrement profond. Et pourtant, la magie opère. Une mannequin de vitrine qui prend vie la nuit pour vivre une histoire d’amour avec un employé de grand magasin ? On croit à une mauvaise blague, et puis on se laisse emporter. Comme Jonathan, le héros, vous finissez par regarder la vitrine avec l’étrange espoir d’y voir bouger une silhouette figée.
Derrière cette comédie romantique improbable, se cache un tournage rempli d’imprévus, un casting inattendu, des références culturelles étonnantes et des tensions en coulisses qui donnent à cette œuvre tout son parfum si singulier. Plus qu’un film, Mannequin est un témoin précieux d’une époque décomplexée où le cinéma osait encore l’invraisemblable… en se moquant bien des cyniques.
L’idée farfelue qui a tout déclenché
Tout commence lorsqu’un scénariste, Edward Rugoff, s’arrête un soir devant la vitrine d’un magasin new-yorkais. Il jure avoir vu le mannequin bouger. Était-ce l’éclairage ? Un léger vertige ? Peu importe : l’imagination fait le reste. Rapidement, l’idée germe d’une histoire romantique où l’inanimé s’anime… littéralement. Michael Gottlieb, réalisateur de publicités télévisées, saute sur l’occasion. Il y voit une belle métaphore de la création artistique, et surtout, une opportunité de tourner un film drôle, rapide et coloré. On l’imagine presque clamer : « On ne fait pas du Bergman, on fait de la magie pop ! »
Le studio, un peu perplexe au départ, finit par céder. Le script n’est pas encore totalement achevé, mais qu’importe : Hollywood adore les paris improbables, surtout quand le budget reste modeste. Le film obtient le feu vert. La machine est lancée, ou plutôt… la vitrine est éclairée.
Une muse nommée Kim Cattrall
Avant d’être la Samantha sulfureuse de Sex and the City, Kim Cattrall a prêté ses traits (et son élégance) à Emmy, la mannequin magique. Ce rôle, elle le prend très au sérieux. Elle refuse que son personnage soit un simple fantasme de plastique. Elle veut une femme libre, drôle, et capable d’en remontrer à son Roméo de vitrine. Elle exige aussi d’interpréter un maximum de scènes en personne, même lorsque la logique voudrait qu’on utilise une doublure inanimée.
Cattrall travaillera avec les accessoiristes pour que les mannequins moulés sur elle soient convaincants… mais jamais plus réalistes qu’elle. Elle deviendra, en quelque sorte, la chef d’orchestre discrète de cette légèreté bien orchestrée. Le film lui doit beaucoup plus qu’on ne le pense.
L’autre star… ignorée
Andrew McCarthy, quant à lui, est dans une période charnière. Révélé dans des teen movies à succès comme St. Elmo’s Fire, il cherche à s’émanciper de son image de jeune premier romantique. Ironie : Mannequin va précisément le figer dans ce rôle. À l’époque, il avoue avoir accepté le projet pour « le fun », mais aussi parce que son emploi du temps permettait ce genre d’excentricité. Il sera le complice idéal de cette fable sentimentale.
En coulisses, son alchimie avec Kim Cattrall fonctionne… avec des hauts et des bas. Tous deux reconnaîtront, des années plus tard, qu’ils ne se comprenaient pas toujours, mais que la tension créait à l’écran une sorte de magie involontaire. Comme quoi, même l’artificiel peut produire du sincère.
Les Galeries Prince & Company, un personnage à part entière
Le décor principal du film est un grand magasin inspiré librement de plusieurs enseignes historiques de Philadelphie. Mais c’est au sein du très réel Wanamaker Building que le tournage a lieu. Le lieu, majestueux et ancien, confère à l’histoire une profondeur visuelle inattendue. La nuit, entre les colonnes et les tapis roulants désertés, les mannequins semblent effectivement prêts à s’éveiller.
Tourner dans un lieu ouvert le jour au public n’est pas de tout repos. L’équipe doit filmer entre minuit et cinq heures du matin, démonter les décors avant l’ouverture, puis tout recommencer. Ce rythme épuisant force l’équipe à improviser régulièrement, donnant lieu à plusieurs scènes construites… sur le tas.
Un film sauvé par une chanson
La bande originale est signée David Foster, mais le joyau du film est sans conteste le tube « Nothing’s Gonna Stop Us Now » de Starship. Cette chanson, aux accents épiques et un brin sirupeux, colle si parfaitement au ton du film qu’on jurerait qu’elle a été écrite pour lui. Elle propulsera Starship au sommet des charts, et permettra au film d’accroître sa visibilité de manière spectaculaire. Nombreux sont ceux qui se souviennent de la chanson sans forcément revoir le film… jusqu’à ce que les premières notes les replongent dans une cascade de souvenirs fluo.
Des critiques au vitriol
Si le public est au rendez-vous, la critique, elle, ne fait pas dans la dentelle. Le film est qualifié de « bêtise absolue », de « comédie pour adolescents attardés », et certains vont jusqu’à le classer parmi les pires productions de l’année. Le Los Angeles Times ironise : « Kim Cattrall joue mieux en mannequin qu’en humaine. » Charmant.
Mais ces critiques passent à côté d’un détail essentiel : Mannequin ne prétend pas être autre chose qu’un conte moderne, léger, sincère et un peu absurde. Le film devient culte précisément parce qu’il n’a jamais cherché à plaire aux élites. Il se donne aux spectateurs sans retenue, un peu comme un rêve fluorescent sur pellicule.
Pygmalion, version 1987
Il faut le rappeler : derrière la farce sucrée se cache une solide référence mythologique. Le film reprend le mythe grec de Pygmalion, sculpteur tombé amoureux de sa propre création. Là où l’Antiquité invoquait Aphrodite, Mannequin convoque… une ancienne princesse égyptienne réincarnée. Le glissement est audacieux, mais assume pleinement son excentricité. Ce n’est pas de la mythologie de salon, c’est du folklore de centre commercial, et on adore ça.
Hollywood n’en voulait pas… et puis il a copié
Malgré son succès surprise, Mannequin reste boudé par les cérémonies et oublié des grands palmarès. Pourtant, il influencera plusieurs œuvres, directement ou indirectement. Des séries comme Small Wonder, des films comme Splash, ou même Weird Science, partagent cette même envie de donner vie à l’inanimé. L’idée a fait son chemin, même dans l’animation moderne où les objets s’animent (bonjour Toy Story !). Le cinéma a fini par reconnaître, sans trop le dire, que la vitrine de Mannequin cachait une idée brillante.
Une suite… qui fait tâche
En 1991 sort Mannequin 2: On the Move. Changement de casting, scénario différent, humour forcé : la magie ne reprend pas. Le film passe inaperçu, ou plutôt, il est évité comme un mannequin mal positionné en solde. C’est un bon rappel qu’un éclair ne frappe pas deux fois au même endroit… sauf peut-être en Égypte, dans un vortex magique.
Une œuvre figée dans le temps, mais pas dans les cœurs
Aujourd’hui, Mannequin continue d’être vu, commenté, redécouvert. Il fait partie de ces films que l’on regarde pour se sentir bien, comme on croquerait dans une madeleine en forme de cassette VHS. Et puis, on y retrouve quelque chose d’essentiel : l’innocence d’un cinéma qui n’avait pas peur du ridicule, parce qu’il croyait encore à la magie.
Et si, en passant devant une vitrine ce soir, vous regardez un peu plus longtemps… ce sera peut-être qu’au fond, vous y croyez encore un peu aussi.
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