
Mary Anning n’était ni docteure, ni aristocrate, mais elle mit au jour les secrets les mieux gardés de la Terre. L’ichtyosaure, le plésiosaure, et tant d’autres spécimens oubliés ressuscitèrent grâce à elle. Pourtant, les honneurs furent rares, les crédits souvent volés.
Mais son nom résiste au temps, comme les pierres qu’elle a patiemment ouvertes. Il est temps de réparer cette injustice. Voici l’histoire de Mary Anning.
Une enfance entre les cailloux et les tempêtes
Sur la côte jurassique du sud de l’Angleterre, à Lyme Regis, le vent souffle fort, l’air est salé et les falaises s’effritent au rythme de la marée. C’est ici, dans un décor à couper le souffle mais impitoyable, que naît Mary Anning le 21 mai 1799. Issue d’une famille modeste de dix enfants, dont seulement deux survécurent à l’enfance, elle grandit dans une pauvreté qui contraint à l’ingéniosité.
Son père, ébéniste de son état, arrondissait les fins de mois en vendant des « curiosités » – les fossiles qu’on trouvait sur les plages alentour. Mary l’accompagnait dès qu’elle put marcher. Lorsqu’il meurt alors qu’elle n’a que 11 ans, la famille se retrouve dans une situation précaire. Ce seront désormais Mary et son frère Joseph qui iront, chaque jour ou presque, affronter la falaise pour ramasser des fragments d’un passé vieux de millions d’années.
Elle n’avait aucune éducation formelle, si ce n’est quelques rudiments de lecture à l’école du dimanche. Pourtant, elle possédait ce que les grands scientifiques du monde n’auraient su acheter : un œil infaillible, une mémoire précise et une patience de sculpteur.
Une découverte qui change le monde
En 1811, alors qu’elle n’a que douze ans, Mary et Joseph découvrent un crâne gigantesque encastré dans la roche. Jour après jour, Mary dégage le corps fossilisé de ce qui s’avèrera être un ichtyosaure, un reptile marin préhistorique vieux d’environ 200 millions d’années. C’est la première découverte de ce type au monde.
Le spécimen suscite immédiatement l’intérêt des scientifiques britanniques, mais surtout des riches collectionneurs. Bien que le fossile ait été vendu par sa famille pour une somme dérisoire, Mary ne recevra aucun crédit scientifique. Elle ne figure pas dans les publications. On admire la trouvaille, mais on oublie son nom.
Ce ne sera pourtant que la première d’une longue série.
La reine silencieuse des plésiosaures
En 1823, elle met au jour un plésiosaure presque complet, un autre reptile marin d’un type totalement inconnu. Ce spécimen est d’une telle étrangeté qu’au début, les scientifiques pensent à un canular. Georges Cuvier lui-même, le père de la paléontologie moderne, doute de son authenticité… jusqu’à ce que la qualité de la découverte, sa précision, et sa conformité avec les couches géologiques convainquent tout le monde. Une fois encore, le nom de Mary Anning n’apparaît pas dans les publications officielles.
Et pourtant, c’est elle qui a fait le travail. Elle qui a extrait chaque fragment avec soin, l’a nettoyé, observé, documenté.
Elle découvre ensuite un ptérodactyle – le tout premier trouvé en dehors de l’Allemagne – puis des poissons fossiles rares, des bélemnites, des ammonites contenant parfois des restes de bébés. Mary est devenue, sans diplôme ni laboratoire, la paléontologue la plus respectée de ceux qui connaissent vraiment le terrain.
Mais elle reste une femme, pauvre, dans un monde d’hommes riches et savants. Elle ne peut adhérer à aucune société scientifique. On l’écoute, parfois, mais on ne la cite pas.
Une intelligence rigoureuse et autodidacte
Mary Anning ne se contente pas de déterrer des os. Elle lit, apprend, se forme, observe. Elle comprend les structures anatomiques mieux que certains professeurs. Elle devine les comportements probables de ces créatures disparues à partir d’un fémur ou d’une dent.
Elle commence à rédiger des lettres, à échanger avec des scientifiques reconnus comme Henry De la Beche ou William Buckland. Plusieurs d’entre eux la consultent discrètement. Ses connaissances deviennent indispensables. Pourtant, ce sont eux qui signent les articles, eux que l’on applaudit dans les salons londoniens.
Le plus douloureux est sans doute qu’elle en était consciente. Elle savait ce qu’elle valait, mais se heurtait sans cesse à une barrière invisible faite de préjugés et de hiérarchies sociales. Sa solitude intellectuelle fut immense. Mais sa détermination le fut encore plus.
Des falaises aux vitrines des musées
Le travail de Mary Anning ne resta pas éternellement dans l’ombre. Ses découvertes peuplent aujourd’hui les musées d’histoire naturelle du monde entier. L’ichtyosaure, le plésiosaure, le ptérodactyle et bien d’autres spécimens émanent de ses mains et de sa curiosité.
Elle a aussi contribué à poser les bases d’idées nouvelles, comme celle que la Terre a connu des espèces aujourd’hui disparues. Une idée alors choquante, dans un monde encore pétri de dogmes religieux.
Et puis, avec le temps, les voix ont commencé à se lever. Une phrase célèbre souvent attribuée à elle – bien qu’on ne l’ait jamais formellement retrouvée dans ses écrits – dit tout de sa détermination : « Le monde s’émerveille de ce que j’ai découvert, mais ne se soucie pas de ce que je suis. »
Une reconnaissance venue trop tard
Mary Anning meurt en 1847, à l’âge de 47 ans, des suites d’un cancer du sein. Quelques mois avant sa mort, la Geological Society de Londres – qui ne l’avait jamais admise comme membre – lui rend un hommage public. Ce sera leur premier à une femme.
Ce n’est que bien plus tard, à partir du XXe siècle, que l’on commence à parler d’elle avec le respect qu’elle mérite. Des livres, des articles, des expositions lui sont consacrés. Son nom devient une figure de proue pour les femmes scientifiques injustement écartées.
En 2010, le Royal Society britannique la place dans la liste des dix femmes britanniques ayant le plus influencé l’histoire des sciences.
Et sur les plages de Lyme Regis, on enseigne désormais aux enfants à chercher les fossiles… en leur parlant d’elle.
Une mémoire gravée dans la pierre
Mary Anning n’a jamais revendiqué la gloire. Ce qu’elle voulait, c’était comprendre le monde, décoder les indices que la nature avait laissé sous forme de fossiles. Elle a passé sa vie à regarder la terre, à écouter les pierres. Et dans leur silence millénaire, elle a vu naître des histoires oubliées.
Aujourd’hui, son nom résonne comme celui d’une pionnière, d’une femme qui, contre vents, marées, et conventions, a offert à la science des trésors inestimables.
Non, elle n’a pas eu de chaire universitaire. Elle n’a pas eu de prix Nobel.
Mais elle a eu les falaises. Les os fossilisés. Et la vérité.
Et parfois, cela suffit pour laisser une empreinte éternelle.
Rejoignez-nous !
Abonnez-vous à notre liste de diffusion et recevez des informations intéressantes et des mises à jour dans votre boîte de réception.