Kama muta : l’émotion universelle qui réchauffe l’âme

On parle souvent de l’amour, de la joie ou de la tristesse, mais il existe une émotion à part. Elle arrive comme une vague, nous traverse et s’évanouit, laissant derrière elle une paix subtile. Elle ne s’explique pas facilement, mais elle est reconnaissable entre mille : c’est le kama muta. Un sentiment de fusion humaine, un instant de grâce. Et si vous appreniez enfin à la reconnaître ?

C’est quoi le kama muta ?

Le kama muta, littéralement « transporté par l’amour » en sanskrit, est une émotion discrète, souvent mal identifiée, mais profondément marquante. Ni tristesse, ni simple joie, ni exaltation : c’est un frisson de l’âme, un élan de tendresse qui bouleverse notre perception de l’instant. Il surgit dans ces moments où l’on se sent connecté, enveloppé, bouleversé par un élan d’amour ou de solidarité humaine. Le terme a été forgé par Alan Fiske, anthropologue et psychologue américain, pour décrire une émotion jusqu’alors sans nom.

Contrairement à d’autres ressentis émotionnels bien balisés, le kama muta n’est pas constant ni prévisible. Il surgit dans l’inattendu : une vidéo de retrouvailles, une main tendue, une scène de film où l’humanité s’exprime sans fard. Il est éphémère mais intense, souvent accompagné de larmes douces, d’un frisson, d’une sensation de chaleur ou d’un ralentissement du rythme cardiaque. Le cœur, dans ces moments-là, ne bat pas plus vite : il s’ouvre.

Une émotion qui nous lie les uns aux autres

À la différence de l’amour passion ou de l’attachement à long terme, le kama muta est un instant de connexion émotionnelle intense. Il surgit dans la relation à l’autre, souvent dans des moments de réciprocité, d’altruisme, ou de dépassement des frontières de l’égo.

Jon Zabala, chercheur à l’Université du Pays basque, affirme que cette émotion nous pousse à prendre soin des autres. Elle ne s’enferme pas dans une culture ou une époque : elle est universelle. Enfants, adultes, personnes âgées — toutes les générations l’expérimentent, à leur manière, et avec la même intensité.

Quand on ressent le kama muta, on n’est plus seul. Même sans contact physique, une vidéo, une histoire ou un geste peuvent suffire à déclencher ce feu doux en nous. Il est le ciment invisible qui lie une communauté, un groupe d’amis, ou même deux inconnus autour d’un moment d’humanité partagée.

Une exploration scientifique à grande échelle

C’est lors d’un séjour professionnel en Norvège, il y a une dizaine d’années, qu’Alan Fiske discute avec ses collègues Thomas Schubert et Beate Seibt. Ils réalisent qu’ils décrivent tous une émotion similaire, que chacun a ressenti mais que personne ne sait nommer. De là naît une vaste enquête. L’objectif : comprendre cette émotion, la définir, et l’étudier sur le plan empirique.

L’équipe lance alors une étude dans 19 pays, interrogeant des milliers de volontaires. Les chercheurs leur demandent de raconter un souvenir ayant provoqué des « larmes positives ». En parallèle, ils diffusent des vidéos soigneusement sélectionnées, dont une où un couple s’embrasse à différents âges de la vie.

Le résultat est clair : les participants réagissent plus intensément aux vidéos liées au kama muta qu’à celles évoquant la simple tristesse ou l’amusement. Des sensations physiques précises sont rapportées : frissons, montée de chaleur, larmes soudaines, respiration ralentie. Même dans les laboratoires, cette émotion touche le cœur avant la tête.

Kama muta : une émotion universelle

Ce qui frappe les scientifiques, c’est l’universalité du phénomène. Peu importe les frontières culturelles, religieuses, ou sociales, le kama muta dépasse les barrières du langage. En Afrique du Sud comme en Norvège, au Japon comme au Brésil, les réactions sont semblables. Cette émotion semble ancrée dans notre nature humaine, comme un langage commun de l’amour spontané.

Elle est liée à ce que les chercheurs appellent la « communal sharing » — un sentiment d’appartenance, d’unité avec un groupe ou une autre personne. Le kama muta serait le signal émotionnel déclenché quand ce lien s’approfondit soudainement. Il serait donc, au fond, une réponse instinctive de notre besoin d’attachement.

Un outil puissant… parfois instrumentalisé

Comme toute émotion humaine, le kama muta peut être un outil magnifique de cohésion… ou un levier de manipulation. Alan Fiske note que cette émotion est souvent exploitée dans les campagnes publicitaires ou les réseaux sociaux. Les vidéos virales mettant en scène des chatons vulnérables ou des sauvetages d’animaux jouent sur cette corde. Elles éveillent notre instinct de protection, stimulent l’attachement, et provoquent ce fameux frisson émotif.

En politique aussi, les stratèges ne s’y trompent pas. Lors de campagnes électorales, des publicités émotionnelles sont conçues pour susciter le kama muta chez les électeurs, augmentant ainsi leur engagement ou leur sentiment d’unité avec un candidat. L’émotion devient ainsi une arme douce, invisible, mais redoutablement efficace.

Peut-on cultiver le kama muta ?

Bonne nouvelle : cette émotion ne dépend pas uniquement du hasard. Il est possible de l’inviter dans notre quotidien. Comment ? En s’ouvrant à la vulnérabilité, à l’attention à l’autre, aux gestes de tendresse, à la gratitude.

Le simple fait de prêter attention à la beauté des relations humaines, d’observer sans cynisme un élan de générosité ou de se souvenir d’un moment bouleversant peut suffire. Le kama muta est une émotion du cœur — et le cœur, comme un muscle, s’entraîne. Plus vous vous laissez émouvoir, plus vous serez apte à ressentir ce frisson unique.

Un frisson d’amour pur, un pont entre nous

Dans un monde souvent bruyant, cynique et pressé, le kama muta est une invitation à la lenteur, à l’émerveillement, à la chaleur humaine. Il ne dure que quelques secondes, mais il laisse une trace durable. Il nous rappelle ce qui compte : le lien, la tendresse, la beauté des autres.

Apprendre à le reconnaître, c’est aussi apprendre à mieux aimer. À mieux vivre ensemble. Et peut-être, au fond, à redevenir humain dans ce qu’il y a de plus vibrant.